Proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide

Observant que la criminalité environnementale s’accroît à l’échelle internationale tout en restant impunie, les sénateurs Jérôme DURAIN, Nicole BONNEFOY, Marc DAUNIS, Patrick KANNER et plusieurs de leurs collègues proposent de « poser les jalons d’un droit pénal de l’environnement qui permette de lutter ardemment contre les crimes qui menacent la planète », en introduisant dans notre arsenal juridique l’incrimination d’écocide pour les crimes environnementaux les plus graves.
Jeudi 2 mai 2019, le Sénat n’a pas adopté cette proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, dans le cadre d’un ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à revenir, moi aussi, sur « l’état d’urgence écologique ».
Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué la septième session de l’IPBES, qui a présenté la synthèse mondiale sur l’état de la nature et des écosystèmes. À ce titre, je cite le président Robert Watson : « Les preuves sont incontestables. Notre destruction de la biodiversité et des services écosystémiques a atteint des niveaux qui menacent notre bien-être au moins autant que les changements climatiques induits par l’homme. »
Aussi, et avant tout, je remercie nos collègues socialistes d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de loi, dont le sujet est extrêmement important.
Avec la généralisation de la conscience écologique au sein de la société française, de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour sanctionner plus sévèrement les écocides, atteintes graves à l’environnement. Ces aspirations rejoignent d’ailleurs d’autres attentes exprimées à l’échelle internationale. Il est donc primordial que la France fasse preuve d’initiative en la matière. Ainsi, nous pourrons coaliser les bonnes volontés qui naissent, ici et là, des constats de la mise en péril de l’humanité établis non seulement par de nombreux observateurs scientifiques, représentants de la société civile, mais aussi de nombreuses instances internationales.
Tel est précisément le but du texte que nous examinons ce soir et que, au sein du groupe du RDSE, nous sommes plusieurs à saluer.
Madame la rapporteure, selon vous, le fait de présenter la France comme le gendarme du monde en matière environnementale pourrait se retourner contre nous. À ce titre, vous avez dressé un parallèle avec l’interventionnisme militaire américain. (Mme le rapporteur manifeste sa circonspection.)
Il est des risques qu’il faut savoir prendre lorsque l’urgence à agir nous y pousse. La nécessité de protéger notre environnement s’instille durablement dans les consciences françaises, notamment celles des plus jeunes générations, depuis que les premières alertes ont été lancées.
L’adoption de la Charte de l’environnement de 2005 a été une avancée supralégislative majeure, qui attend des ramifications législatives concrètes, comme celles que propose le texte examiné aujourd’hui. La doctrine a montré comment, faute d’avancées législatives, nos magistrats ont, par exemple, fait évoluer progressivement la jurisprudence relative à la notion de préjudice pour permettre l’indemnisation des préjudices écologiques.
Nous avons entendu les critiques du texte de Jérôme Durain et de ses collègues, mais il nous paraît quelque peu contradictoire de faire le constat de l’urgence à agir, en citant les rapports du GIEC, qui sont terrifiants, et de considérer, dans le même temps, que les normes en vigueur sont suffisantes et que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes par le simple renforcement de la formation de nos magistrats ou par l’effet de sanctions, dont on sait aujourd’hui qu’elles ne sont pas assez dissuasives.
Ce texte mérite que nous réfléchissions à des améliorations de rédaction plutôt que de le rejeter en bloc.
Sur le fond, nous souscrivons aux préconisations des directives européennes qui suggèrent que les sanctions pénales n’interviennent qu’en dernier recours, mais nous jouons déjà, depuis plusieurs décennies, le jeu du « droit mou », des dispositifs incitatifs, des sanctions administratives. Nous sommes de plus en plus nombreux à considérer que l’état de dégradation de la planète est tel qu’il est aujourd’hui nécessaire de passer à la vitesse supérieure et de sanctionner pénalement toutes les atteintes à l’environnement, quelles qu’elles soient.

M. Olivier Jacquin. Très bien !

M. Joël Labbé. Il s’agit de repenser totalement l’agencement de notre droit pénal afin d’y intégrer l’environnement en tant que personne propre.
La reconnaissance de l’écocide revêt plusieurs dimensions juridiques, comme nos amendements tendent à le montrer : elle exige, d’une part, l’élargissement de la notion de génocide afin que des actes de guerre reposant sur des atteintes très graves à l’environnement, comme le recours à l’agent orange au Vietnam, puissent être reconnus comme tels et sanctionnés par la juridiction internationale compétente ; elle requiert, d’autre part, le renforcement des peines, mais également des moyens et des périmètres d’action de nos juges nationaux, en cas d’atteintes à l’environnement sur notre sol et au-delà, lorsque ces atteintes emportent des externalités négatives mondiales susceptibles de concerner la santé et la qualité de vie des Français.
Ce deuxième point pourrait être satisfait par la création d’une incrimination nouvelle, que nous proposons de modifier, ou par l’élargissement de dispositions pénales existantes, comme la mise en danger de la vie d’autrui. Il ouvre cependant d’autres débats, dont celui qui concerne les modalités de calcul des amendes par les magistrats afin d’éviter les condamnations symboliques et la censure de la Cour de cassation.
En conclusion, gardons à l’esprit que ce n’est pas l’écologie qui est punitive – j’en ai marre d’entendre cela ! –, mais c’est la société qui doit l’être, quand une majorité en son sein considère qu’un comportement porte atteinte au bien commun, à l’intérêt général, et à celui des générations futures.
Comme le grand débat l’a montré, les citoyennes et citoyens français attendent que nous leur apportions des clés pour agir, et l’action devant le juge pénal en est une.
Enfin, si l’action dans le droit pénal français nous paraît nécessaire, légitime et efficace, il faut également intervenir au niveau du droit pénal international, comme le propose la juriste en droit international, spécialiste des droits de l’homme, Valérie Cabanes : « Ne faudrait-il pas reconnaître un crime international qui puisse protéger l’habitabilité de la Terre de certaines activités industrielles nuisibles au climat, à la biodiversité, à la qualité des sols, à l’approvisionnement en eau potable, à l’océan, à la santé… ? »
À ceux qui considèrent, à juste titre, que la priorité actuelle est à la refondation du pacte social et politique de notre pays, je voudrais dire ma conviction qu’il faut faire de ce sujet un outil pour rebâtir le vivre-ensemble.
Quelle meilleure mise en œuvre du principe de fraternité que l’ambition de travailler à l’amélioration des conditions écologiques d’existence du plus grand nombre ?

M. le président. Il faut conclure !

M. Joël Labbé. Je vous le dis au nom des générations nouvelles qui ont besoin de renouer avec des projets collectifs : le plus beau projet que l’on ait à mener ensemble, c’est le sauvetage de la planète ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

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