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Plantes médicinales, compléments alimentaires ou poisons potentiels : faut-il réhabiliter l’herboristerie ?

BASTAMAG – 08/03/2019 – Par Sophie Chapelle

Ils existent depuis des décennies, à la ville comme à la campagne, mais n’ont pas le droit d’exercer. Les herboristes ont vu leur diplôme supprimé en 1941 au profit des pharmaciens, et ne peuvent vendre qu’un nombre restreint de plantes médicinales.

« Pour un herboriste, dire qu’une tisane de thym est bonne contre le rhume le place hors la loi », dénonce un collectif qui agit pour la réhabilitation des herboristeries. Les lignes sont en train de bouger : les propositions issues d’une récente mission d’information sénatoriale sont en train de rouvrir le débat sur le développement de l’herboristerie en France.

L’État français va-t-il se réconcilier avec les plantes ? Depuis 1941, ce sont les pharmaciens qui ont le monopole de la vente de plantes médicinales. « À titre d’exemple, le bleuet, pourtant banal et sans danger, ne peut pas être vendu hors pharmacie », illustre ainsi un collectif d’organisations, dont fait notamment partie la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), qui vise à relancer l’herboristerie [1]. Seules 148 plantes, comme la lavande, l’eucalyptus, le tilleul, la menthe ou la verveine, bénéficient d’une dérogation du fait de leur usage alimentaire [2]. « Les ultimes herboristes titulaires du certificat se sont éteints ces toutes dernières années. »

Si la profession d’herboriste a bénéficié d’un statut entre 1803 et 1941, le certificat d’État d’herboristerie est supprimé sous le régime de Vichy suite aux pressions de pharmaciens. 78 ans plus tard, l’herboristerie va-t-elle être réhabilitée ? C’est en tout cas ce à quoi s’intéressent plusieurs sénateurs et sénatrices, suite à une mission d’information qui a rendu fin septembre ses recommandations sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales. 39 propositions ont été formulées pour accompagner le développement de cette filière [3].

Les plantes sont-elles plus dangereuses que les médicaments ?

« 70 % de notre pharmacopée est issue du monde végétal », rappelle la mission d’information. Or, les risques sanitaires liés à l’utilisation des plantes médicinales font partie des arguments couramment avancés par le milieu pharmaceutique contre l’usage des plantes. Lors de son audition au Sénat le 10 juillet, Carine Wolf Thal, présidente du Conseil de l’ordre des pharmaciens, l’assure : « Chaque pharmacien le sait bien, les plus grands poisons sont dans la nature. » « Certaines plantes ou huiles essentielles peuvent être irritantes, neurotoxiques, photosensibilisantes ou caustiques, appuie t-elle. Il y a aussi des contre-indications pour les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants, les sujets épileptiques ou allergiques. »

« Les risques réels à consommer des plantes sauvages sont minimes », contre-argumente Thierry Thévenin, producteur-cueilleur de plantes médicinales, herboriste et botaniste. Chacun défendrait-il son pré-carré ? Selon une étude du centre antipoison de Strasbourg, rassemblant les données de la plupart des centres des grandes villes françaises en 2008 et 2009, moins de 5% des appels concernait les plantes, rappelle Thierry Thévenin [4]. « Seuls dix-huit cas graves ont été recensés, un seul relevant d’une intention thérapeutique – une dame a voulu soigner son cancer avec de la tisane d’if. Les autres concernaient la consommation de plantes psychotropes dangereuses, mais nous ne sommes plus là dans le cadre de l’herboristerie. » A titre de comparaison, « le nombre annuel d’hospitalisations dues à des effets indésirables de médicaments en France peut être estimé à 143 915 » concluait une étude conduite par le Réseau des centres régionaux de pharmacovigilance en 2007.

Une information « omniprésente sur internet, mais non canalisée »

Les herboristes ne sont pas non plus autorisés à donner d’indications sur l’usage traditionnel des plantes médicinales. Toutes les allégations concernant des propriétés préventives ou le traitement des maladies humaines est interdite. « Dire qu’une tisane de thym est bonne contre le rhume place hors la loi, abonde le collectif qui souhaite réhabiliter l’herboristerie. « Lorsque je vends une tisane, je n’ai pas le droit d’écrire sur le sachet à quoi elle sert, illustre Thierry Thévenin. En revanche, je peux l’écrire dans un livre ! C’est aberrant. On peut trouver des informations sur les plantes dans n’importe quel magazine, pourquoi n’ai-je pas le droit d’en faire figurer sur mon sachet ? » Le thym par exemple, qui figure dans la liste des 148 plantes échappant au monopole pharmaceutique, ne peut être vendu que dans le cadre d’un usage alimentaire – pour aider à digérer – mais pas pour la toux.

« Il y a pourtant une demande et une place pour la vente de plantes médicinales hors pharmacie, pour les petits maux du quotidien et le maintien en forme », font valoir les organisations défendant l’herboristerie. « Les herboristes, même s’il n’existe pas de formation officielle, ont passé deux ou trois ans dans une école d’herboristerie, suivent des sessions de formation continue, sont formés aux usages des plantes, aux limites d’emploi, aux contre-indications et à la réglementation. Il faudrait vraiment sécuriser juridiquement cette profession et lui trouver un statut », insiste Thierry Thévenin [5].

Sur cet aspect, les sénateurs concèdent que l’information sur l’usage des plantes médicinales « est aujourd’hui omniprésente sur internet mais non canalisée ». « La majorité des huiles essentielles et 40 % des compléments alimentaires sont vendus en-dehors des pharmacies, mais aucun professionnel hors officine n’est autorisé à donner de conseils, précise le sénateur écologiste Joël Labbé, rapporteur de la mission. Cette situation n’est pas satisfaisante, à l’heure où l’on peut trouver tout et n’importe quoi sur internet. » A ses yeux, la reconnaissance des métiers de l’herboristerie serait une garantie pour la sécurité du consommateur.

Médicament, complément alimentaire, produit cosmétique ou agent chimique ?

Que dit la loi concernant la commercialisation des plantes médicinales ? « Il n’y a pas un seul règlement qui s’applique », explique Jean-François Roussot, du syndicat des Simples, en référence au nom donné aux variétés ayant des vertus médicinales. « Prenons la lavande : si on dit qu’elle est antiseptique et cicatrisante, c’est un médicament. Si on dit qu’elle est apaisante et qu’elle contribue à la qualité du sommeil, c’est un complément alimentaire. Si cela adoucit les démangeaisons, c’est un produit cosmétique. Si c’est un parfum d’ambiance, c’est une substance chimique… » Une même plante médicinale peut donc relever, lors de sa commercialisation, de différentes catégories. « La réglementation n’envisage pas qu’une plante puisse être multi-usages, déplore Thierry Thévenin. On doit choisir une fonction pour la plante afin de la faire rentrer dans une case. »

Le droit européen ne reconnaît pas la possibilité pour un professionnel de commercialiser un produit sous plusieurs dénominations, précise la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) [6]. « Nous revendiquons la possibilité de mettre en avant le multi-usage des plantes médicinales, explique Jean-François Roussot. « Nous comprenons que le législateur veuille attribuer une donnée claire au produit, mais c’est inadapté. Il y a un décalage entre une attente globale du produit et une approche segmentée du législateur. »

Cette législation peut par ailleurs mettre en difficultés financières les petites structures. « Un contrôleur nous a dit que tous les produits pouvant se mettre sur la peau devaient être en cosmétique », confie un producteur d’eaux florales. « Cela coûte 500 à 700 euros par produit et j’en ai une centaine ! Si je dois faire tous les profils toxicologiques, je mets la clé sous la porte… »

Un label « Plantes de France » pour combler une « traçabilité médiocre »

En dépit de la réglementation complexe, la filière française des plantes à parfum, aromatiques et médicinales est dynamique. Les surfaces cultivées ont été multipliées par 2,5 depuis trente ans, et ont augmenté de 40 % entre 2010 et 2016 [7]. « Aux 120 espèces végétales cultivées et plus de 300 espèces cueillies sur le territoire métropolitain, il faut ajouter l’extraordinaire richesse végétale des outre-mer qui recèlent 80 % de la biodiversité française et 10 % de la biodiversité mondiale », précise la mission d’information sénatoriale. Cette dernière propose d’atteindre 50 % des surfaces cultivées en bio à l’horizon 2025 (contre 13,4 % actuellement), en renforçant notamment les aides à la conversion.

En parallèle, le marché de la santé et de la beauté naturelles représente en France plus de 3 milliards d’euros. Le problème, souligne Jean-François Roussot, « c’est que le marché est inondé de produits « naturels » venus du monde entier, aux promesses multiples et variées, ne bénéficiant bien souvent que d’une traçabilité médiocre en matière de conditions de travail des cueilleurs, des transformateurs et du respect des ressources naturelles, ou faisant montre d’une qualité défaillante, ainsi qu’a pu le montrer la [DGCCRF] ». Pour y pallier, la mission d’information préconise notamment la création d’un label « Plantes de France », sous critères de qualité, et l’accompagnement du regroupement des acteurs en interprofession.

Mobilisation pour la reconnaissance du métier d’herboriste

En revanche, la mission d’information sénatoriale souligne que la renaissance de métiers d’herboristes et de formations reconnues et encadrées « suscite des réticences de la part des représentants des professionnels de santé ». Ces derniers considèrent qu’« une profession intermédiaire, autonome des pharmaciens, ne serait pas à même de protéger la santé publique en raison des actions complexes des plantes ». Ce n’est pas l’avis de Joël Labbé qui estime que disposer d’herboristes reconnus, agissant dans un cadre défini, et capable de renvoyer vers des professionnels de santé dès que nécessaire serait une solution de bon sens. « C’est ce qui se passe dans les autres pays, sans que l’on constate de problèmes de sécurité », explique t-il à Basta !.

Alors que la concertation est appelée à se poursuivre, des producteurs, paysans-herboristes, des négociants, des enseignants, des pharmaciens-herboristes, des médecins phytothérapeutes, invitent toutes celles et ceux se sentant concernés par l’avenir de l’herboristerie à signer une pétition. Ils appellent également les professionnels et usagers à « interpeller et sensibiliser leurs élus afin que le bon sens, la pluralité, la complémentarité et le respect mutuel soient de mise dans le travail en cours pour la reconnaissance des métiers de l’herboristerie ». Joël Labbé espère pour sa part que ce travail pourra déboucher sur un projet de loi.

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