LIBÉRATION – Tribune par Un collectif — 19/10/2018
Ils existent depuis des siècles, à la ville comme à la campagne, et pourtant ils n’ont pas le droit légal d’exercer. A quand une reconnaissance pleine et entière du métier d’herboriste, à l’heure où la population se retourne vers les plantes médicinales ?
Nous voulons des herboristes !
L’initiative lancée en avril 2018 par le sénateur Joël Labbé pour le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales est l’occasion de valoriser des filières et métiers d’avenir depuis la cueillette jusqu’au conseil, en donnant une place à tous : pharmaciens-herboristes, herboristes de comptoir, paysans-herboristes, enseignants, producteurs, médecins, etc. Or, depuis la disparition du diplôme d’herboriste en 1941, les pouvoirs publics ont jusqu’à ce jour toujours catégoriquement refusé de permettre le retour des herboristes en France, avec comme argument récurrent que le réseau pharmaceutique serait suffisant pour répondre aux besoins de la population.
Soyons clairs, le réseau des officines ne peut pas répondre seul aux attentes du public actuel en termes de produits d’herboristerie. Même si les pharmaciens d’officine sont effectivement formés à la phytothérapie et à l’aromathérapie et que beaucoup suivent des enseignements complémentaires, force est de constater que l’offre en matière de plantes et de conseils associés en pharmacie est généralement limitée, malheureusement trop souvent fondée sur une logique économique et concurrentielle plutôt que scientifique et sanitaire. Là où on invoque une sécurité et une qualité meilleures pour ce secteur, en dehors d’une quarantaine de médicaments de phytothérapie, on retrouve principalement les mêmes compléments alimentaires qu’en dehors des officines, le monopole pharmaceutique s’étant presque totalement dissous avec la réglementation européenne sur ces produits.
Une approche de santé «naturelle»
Depuis vingt ans, le public s’est largement orienté vers une approche de santé «naturelle», comme le démontrent des enquêtes européennes ou françaises 1. Il faut souligner que le recours à la flore médicinale usuelle ne comporte souvent que des risques faibles, dans des conditions traditionnelles d’emploi. Cette moindre iatrogénie est d’ailleurs validée par l’Agence européenne du médicament dans sa reconnaissance d’emplois traditionnels en automédication. Les données des vigilances 2 en France ne mettent en évidence qu’un nombre limité d’accidents pour la phytothérapie usuelle, au regard de l’iatrogénie d’autres produits d’automédication.
De très nombreux herboristes existent depuis des décennies, à la ville comme à la campagne ; on ne peut ni les ignorer ni les empêcher d’exister. La majorité d’entre eux ne revendiquent pas les prérogatives des pharmaciens. Ils réclament simplement des moyens légaux pour un accompagnement légitime et rationnel de leur clientèle, car s’ils donnent aujourd’hui le moindre usage traditionnel, même notoire, ils se retrouvent dans l’illégalité. Le marché est pendant ce temps inondé de produits «naturels» venus du monde entier, aux promesses multiples et variées, ne bénéficiant bien souvent que d’une traçabilité médiocre en matière de conditions de travail des cueilleurs, des transformateurs et du respect des ressources naturelles, ou faisant montre d’une qualité défaillante, ainsi qu’a pu le montrer la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Les écoles d’herboristerie, réunies en Fédération, des centres de formation agricoles et des universitaires des facultés de pharmacie œuvrent actuellement pour un rapprochement visant à organiser les formations, basées sur un socle commun de connaissances, de professionnels sûrs et responsables, afin de favoriser le développement de circuits courts pour des plantes de qualité, tout en assurant la sécurisation de leur distribution. Refuser de légiférer dans ce sens favoriserait les risques pour le public, en encourageant des pratiques inadéquates ou dangereuses. La position de refus systématique sur la reconnaissance de l’herboristerie adoptée par les ordres des pharmaciens et des médecins est en contradiction avec les objectifs que devraient poursuivre ces organisations. On comprend mal pourquoi elles se retranchent ainsi dans un déni de réalité des attentes sociétales et des pratiques existantes, qu’elles devraient au contraire accompagner.
Un acte politique majeur
La recherche de bien-être, ou même de plus d’autonomie de santé à l’aide des plantes médicinales, est sans doute un acte politique majeur à un moment où notre humanité semble être sur le point de céder le pas aux promesses extravagantes de l’intelligence artificielle et du transhumanisme, au moment où c’est tout le rapport à notre corps et à notre santé qui est peu à peu déshumanisé. La «liberté de disposer de son corps» ne vaut pas seulement dans l’acception féministe. Plus largement, c’est de la personne humaine qu’il s’agit. Toute démarche non idéologique qui la conforte est bienvenue, comme celle de la population qui se (re)tourne en masse vers les herboristes et les plantes médicinales.
Par ailleurs, vouloir des herboristes pour accompagner l’hygiène de vie et la prévention de la santé des Français peut générer une économie très importante dans le budget de la Santé. Quand l’économie s’associe à plus de liberté, il y a lieu de s’interroger sur les raisons du discrédit où l’on s’efforce de tenir l’herboristerie.
Nous en appelons donc à tous les citoyens qui se sentent concernés par l’avenir de l’herboristerie et des plantes médicinales, professionnels ou usagers à interpeller et sensibiliser leurs élus afin que le bon sens, la pluralité, la complémentarité et le respect mutuel soient de mise dans le travail en cours pour la reconnaissance des métiers de l’herboristerie.
(1) Anses, 2017, INCA 3: évolution des habitudes et modes de consommation, de nouveaux enjeux en matière de sécurité sanitaire et de nutrition; Inserm: étude NutriNet-Santé, https://www.etude-nutrinet-sante.fr/ ; étude PlantLibra, http://www.eurofir.org/plantlibra/.
(2) (Pharmaco-, toxico- ou nutrivigilance).
> La pétition pour soutenir l’herboristerie
Signataires : Sabrina Boutefnouchet, docteure en pharmacie, maître de conférences en pharmacognosie à l’Université Paris René Descartes, Carole Brousse, docteure en ethnologie, spécialiste de l’herboristerie, Pierre Champy, docteur en pharmacie, professeur de pharmacognosie à l’Université Paris-Sud, Jean-Baptiste Galle, pharmacien, docteur en pharmacognosie, Nathalie Havond, représentante de la fédération des Ecoles d’herboristerie, Pierre Lieutaghi, écrivain, ethnobotaniste attaché au Museum d’Histoire Naturelle de Paris, Aline Mercan, médecin généraliste, anthropologue de la santé, Jean-Michel Morel, médecin généraliste, co-créateur du D.U. de phyto-aromathérapie de la Faculté de médecine et de pharmacie de Besançon, Jean-François Roussot, paysan-distillateur, secrétaire général du syndicat SIMPLES, Thierry Thévenin, président de la fédération des paysans-herboristes, auteur du Plaidoyer pour l’herboristerie, (éditions Actes Sud).