REPORTERRE – 11/10/2018
Constatant l’engouement des Français pour les plantes médicinales, une mission sénatoriale a réfléchi à la filière et au métier d’herboriste. Les propositions du rapport parlementaire constituent la première étape d’un processus qui pourrait aboutir à une proposition de loi.
C’est un sujet discret. Pourtant les plantes médicinales intéressent de plus en plus les Français. Il était temps que des parlementaires s’en emparent et lancent le débat, notamment sur le métier d’herboriste. À l’initiative du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), une mission d’information sur le « développement de l’herboristerie et des plantes médicinales, une filière et des métiers d’avenir » a été constituée en avril dernier au Sénat. Le 25 septembre, à la suite d’auditions et de tables rondes auprès d’une centaine d’acteurs, producteurs, cueilleurs, herboristes, pharmaciens, médecins… la mission d’information a adopté un rapport final, présenté par Joël Labbé (RDSE, Morbihan). Il comporte 39 propositions autour de trois axes : le développement de la filière, la réglementation, les plantes médicinales dans le système de santé.
Pour beaucoup, l’herboristerie renvoie aux remèdes « de bonne femme », au passé et à des traditions de soins populaires ancestraux et l’on oublie souvent que 70 % de notre pharmacopée moderne est issue du monde végétal. La transmission des connaissances et des pratiques liées à l’herboristerie, la redécouverte de traditions locales peuvent encore nourrir des innovations dans des domaines les plus variés, de la médecine aux soins vétérinaires en passant par la cosmétique… D’où la proposition du rapport de porter, avec d’autres pays, l’inscription de cette culture au patrimoine immatériel de l’Unesco et de soutenir des formations d’ethnomédecine et d’ethnopharmacologie notamment dans les facultés des territoires d’outre-mer.
Un cadre réglementaire, très complexe et inadapté
Les plantes médicinales, c’est un marché très porteur : 3 milliards d’euros en santé et en beauté dans l’Hexagone, par exemple. En alimentation et médecine vétérinaire ou dans la protection des cultures, de nouveaux marchés émergents promettent de dynamiser les territoires.
Côté production, en métropole, les plantes à parfum aromatiques et médicinales — dites PPAM —, représentent 53.000 hectares. Modeste, mais dynamique : 2,5 fois plus de surfaces en 30 ans et surtout, + 40 % entre 2010 et 2016. « Présentes dans tous les territoires, notamment en outre-mer, c’est-à-dire 80 % de la biodiversité française et 10 % au plan mondial, les PPAM sont souvent cultivées ou cueillies par de petits producteurs et en bio », a précisé le rapporteur des travaux sénatoriaux, Joël Labbé, lors de leur présentation à la presse. Pour soutenir cette « filière de qualité à haute exigence environnementale », les parlementaires, qui souhaitent 50 % de surface agricole utile (SAU) bio d’ici 2025 contre 13,5 % actuellement, préconisent de renforcer les aides à la conversion et le paiement pour services environnementaux, de poser une stratégie de développement pour l’outre-mer, de pousser la recherche et enfin, de créer un label « Plante de France ».
L’un des principaux freins au développement du secteur, c’est le cadre réglementaire, très complexe et inadapté. Par exemple, une même plante peut être classée comme « médicament » (traditionnel à base de plantes, préparation magistrale, ou plantes médicinales parmi les 546 de la pharmacopée, réparties elles-mêmes en deux listes, A et B), « denrée » (complément alimentaire), ou « cosmétique », ou encore « biocide »… Ce cadre ultra-segmenté pour des plantes multi-usages est un casse-tête pour les petits producteurs qui commercialisent en direct. On ne s’étonnera pas des importations, l’essentiel de la consommation française, comme le remarque Joël Labbé, citant le thym polonais, grand concurrent du français.
Le consommateur, lui, reste en mal d’informations et de conseils. Le métier d’herboriste a été supprimé en 1941 par le non-renouvellement du certificat validant sa pratique. Souvent à la limite de la légalité, ceux qui l’exercent tout de même sont dans l’insécurité car, aujourd’hui la vente des plantes médicinales dans un but thérapeutique relève des seuls pharmaciens, sauf pour 148 plantes « libérées », car également à usage alimentaire.
Pourtant, de nombreux produits à base de plantes sont vendus hors officine. Et beaucoup sur internet. 541 plantes sont autorisées dans les compléments alimentaires. Les huiles essentielles sont majoritairement en vente libre… Il y a urgence à simplifier, harmoniser. À réexaminer la liste des 148 plantes « libérées » pour l’élargir à d’autres ne présentant pas de risque d’emploi, comme le propose la mission : « Il faut ajuster les normes de ce maquis réglementaire au caractère artisanal de l’activité, réhabiliter les plantes adaptées aux petits maux du quotidien », explique Joël Labbé.
Le métier d’herboriste va-t-il enfin renaître ? C’est LE sujet très sensible
Par ailleurs, notre appétence croissante pour les plantes médicinales via des soins préventifs ou naturels trouve rarement écho chez les professionnels de santé — médecins, infirmières… Ils manquent souvent de connaissances ou d’intérêt, même si, comme le souligne la présidente de la mission, Corinne Imbert, sénatrice de la Charente-Maritime (Les Républicains), depuis 2000, 13 diplômes universitaires de phytopharmacie pour pharmaciens et auxiliaires de santé ont été créés. Une licence pro de phyto serait en gestation. Mais, cela n’est pas suffisant. Le rapport recommande de développer encore plus ces formations, et surtout de sensibiliser aux plantes. Les médecins et aussi les vétérinaires et les éleveurs… La création d’un institut de recherche en phytoaromathérapie figure au nombre des propositions. « De la recherche, des découvertes, c’est vraiment ce qui ressort des audits, notamment dans les territoires d’outre-mer », a précisé Angèle Préville (groupe socialiste et républicain, Lot).
Tous bords confondus, les 27 membres de la mission se sont accordés sur l’ensemble des propositions et sur la nécessité de réintégrer les plantes dans le système de santé. Mais qu’en est-il du métier d’herboriste ? Va-t-il enfin renaître ? C’est LE sujet très sensible. Et il n’a pas trouvé consensus. La formation, le statut, le contrôle… « jusqu’à la veille de la présentation, nous avons eu des débats animés », a témoigné Raymond Valls (RDSE, Gers).
Pourtant, aux côtés des pharmaciens, des « herboristes de comptoir » en boutique, et des « paysans herboristes » sont en attente de reconnaissance. Sans cadre, ces professions se sont organisées, des formations privées à succès se sont créées. Les uns sont pour une reconnaissance de cette réalité de fait. Et ils mettent en avant des exemples étrangers de bonne intelligence entre herboristes et professionnels de santé dès lors que les périmètres sont définis : « Cela se passe très bien avec les ostéopathes, complémentaires des professionnels de santé, observe Joël Labbé. L’herboriste s’intéressera au bien-être ou au mieux-être. Il n’interviendra pas dans le diagnostic ni dans la thérapie. On pourrait même poser une charte éthique pour définir les rôles de chacun. » Le rapporteur défend le principe « une formation, un diplôme, un métier ».
D’autres sont réticents à la reconnaissance. Ils voient plutôt cette profession intermédiaire sous la tutelle d’un autre corps de métier, comme les pharmaciens, « dans l’optique de protéger la santé publique », insistent-ils. Ainsi la présidente, Corinne Imbert, pharmacienne de profession, avertit sur « le risque de banalisation des plantes dont les principes actifs ne sont pas anodins. Ce qui est naturel n’est pas sans danger. Certaines plantes sont toxiques, d’autres peuvent présenter des risques d’interactions avec des traitements médicamenteux. Le pharmacien a été formé pour analyser une prescription », poursuit-elle.
Mais selon les parlementaires, un sujet sociétal aussi complexe et clivant ne pouvait prétendre faire consensus un si peu de temps. Ce rapport n’a-t-il servi qu’à enfoncer des portes ouvertes ? C’est une première étape qui met en lumière l’incroyable potentiel de la filière, disent unanimes les membres de la mission. « Il est temps que nos concitoyens puissent s’exprimer sur ce sujet », ajoute son rapporteur. Un groupe de travail pluripolitique devrait être créé pour poursuivre la concertation « avec toutes les parties prenantes », insiste Joël Labbé manifestement très mobilisé par le sujet, la reconnaissance ou non de métiers d’herboristerie et des formations adaptées. C’est la conclusion du rapport. « À titre personnel, dit Joël Labbé, je souhaite qu’il [le groupe de travail] aboutisse à un projet de loi. »