Ouest-France

Santé. Les métiers de l’herboristerie pourraient être réhabilités

OUEST-FRANCE – 25/09/2018 – Par Christelle GUIBERT

La culture, la transformation et la vente-conseil de plantes médicinales, seront-elles bientôt reconnues et libéralisées ? C’est l’enjeu de la mission d’informations lancée par Joël Labbé, sénateur Verts du Morbihan, et détaillée ce mercredi, au Sénat. Dans les monts d’Arrée, en Bretagne, une filière dynamique milite depuis longtemps pour la légitimité de son savoir-faire.

Ce mercredi 26 septembre, le Sénat rendra ses recommandations de la mission d’information sur les métiers de l’herboristerie.

Dans les monts d’Arrée, au centre Bretagne, cette initiative du sénateur écologiste du Morbihan, Joël Labbé, a été vivement saluée. Depuis le milieu des années 1980, des Bretons y réhabilitent « la connaissance des plantes aromatiques et médicinales, un savoir-faire ancestral mis au placard », juge Marie-Jo Fourès, cofondatrice de l’association Cap Santé et de l’École bretonne d’herboristerie, à Plounéour-Ménez, dans le Finistère.

Cet établissement, qui dispense des ateliers thématiques et une formation professionnalisante en deux ans, est l’une des cinq écoles françaises d’herboristerie. Réunies en fédération, elles militent pour un diplôme d’État qui donnerait un cadre légal à l’enseignement des métiers de l’herboristerie.

« Nous sommes toujours borderline. Nous n’avons officiellement pas le droit de conseiller certaines plantes pour leurs vertus thérapeutiques. La plupart relève du monopole pharmaceutique », rappelle la pionnière bretonne, infirmière puéricultrice formée à l’herboristerie et à la nutrition, en Allemagne et à Paris, au milieu des années 1980.

Pourquoi le métier d’herboriste est-il interdit ?

Concrètement, parce que le régime de Vichy a supprimé le certificat d’État d’herboristerie en 1941, au profit de la création d’un ordre des pharmaciens. C’est à eux que fut confié le monopole de la vente et du conseil en matière de plantes médicinales. Marie Roubieu, dernière titulaire de ce diplôme, est morte en janvier, à l’âge de 97 ans.

Des herboristes post-Vichy sont régulièrement attaqués en justice pour « exercice illégal de la pharmacie ». Ils ont vendu ou conseillé l’une des 562 plantes inscrites à la pharmacopée française ; contre 148 en vente libre. De moins en moins cependant. L’Union européenne – l’herboristerie est reconnue dans la plupart des pays – vient désormais à la rescousse de producteurs épinglés, comme ce fut le cas lors du « procès de la prèle », en 2007.

Comment est-il revenu au goût du jour ?

Depuis une trentaine d’années, une filière de « résistance » s’est organisée. Du massif des Cévennes aux monts d’Arrée. « Dans les années 1980, avec des passionnés, nous nous sommes plongés dans les archives des monastères, à la recherche des recettes d’abbayes, retrace Marie-Jo Fourès. Nous nous sommes lancés dans la production, la cueillette. On a fait des tisanes, des sirops. Nos ateliers pratiques se sont vite remplis. » Le réseau né dans les monts d’Arrée réunit une centaine de producteurs bretons aujourd’hui, contre deux en 1985 !

« Il n’y a pas de concurrence, nous nous connaissons et nous travaillons ensemble, pratiquement tous en bio et en permaculture. Les gens veulent se réapproprier leur santé », analyse Arlette Jacquemin, formée à l’école de Marie-Jo. Cette « néopaysanne », fille d’ouvriers de Morlaix, a lancé sa petite production en 2015, L’herberaie, à Plouigneau (Finistère). Elle dispose d’un séchoir et travaille main dans la main avec une plateforme de transformation, Plantarée, pour écouler sa production. Des plantes en vrac ou des macérations que l’on retrouve dans les nombreuses coopératives bios.

Cette filière de production « nature » est en plein essor. Tout comme l’« officielle », les grandes plantations qui vendent essentiellement aux laboratoires. Le pays de Chemillé, dans le Maine-et-Loire, est un des territoires français les plus en pointe.

Quels arguments pour libéraliser ?

La santé d’abord. « Nous ne voulons pas nous substituer à la médecine, nous intervenons en prévention, en préservation de la santé ou en confort, détaille Muriel Durand, infirmière libérale de Concarneau, formée à l’École bretonne d’herboristerie qu’elle préside aujourd’hui. À des patients qui souffrent d’assèchement de la bouche après une séance de chimiothérapie, on peut recommander la cardamome, qui fait naturellement sécréter de la salive. »

L’autre argument est économique. « La culture et la vente de plantes aromatiques et médicinales sont créatrices d’emplois non délocalisables, assure le sénateur Joël Labbé. Le potentiel est énorme. Nous importons 80 % des plantes vendues en France, alors que nous disposons d’un patrimoine exceptionnel en métropole et outre-mer ! »

Quels arguments contre ?

L’ordre national des pharmaciens plaide pour que l’herboristerie reste dans son giron et prétexte souvent de la toxicité des plantes. « L’expert, c’est le pharmacien », a rappelé Jean-Louis Beaudeux, doyen de la Faculté de pharmacie de Paris, aux sénateurs (toutes les vidéos des auditions sont accessibles ici).

Ce pharmacien a cependant reconnu le savoir « encyclopédique » des nouveaux botanistes de la santé.

L’ordre des pharmaciens aimerait aussi garder la main sur la réglementation de tout ce qui peut soigner. Le sénateur socialiste Jean-Luc Fichet, qui défend les herboristes bretons depuis longtemps, relève toutefois des incohérences. « Comment se fait-il qu’un producteur de bleuet ne puisse pas conseiller une tisane bonne pour le foie, alors que des industriels peuvent vanter les vertus anticholestérol de leur margarine ? », a-t-il demandé en audition publique. « Parce que l’Institut Pasteur de Lille a apporté son label, sa caution médicale », explique le doyen de la Faculté de pharmacie de Paris.

Qu’apporte la mission du Sénat ?

Pour l’écologiste Joël Labbé, il s’agit surtout d’informer les élus sur l’intérêt de « reconnaître le métier d’herboriste et fixer un cadre pour sa formation ». Les recommandations détaillées ce matin au Sénat ouvrent le débat. Le Collectif pour le retour des herboristeries, qui rassemble tous les acteurs de cette filière, a déjà lancé une pétition en ligne.

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