PROPOSITION DE RÉSOLUTION
en application de l’article 34-1 de la constitution, sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale
Enregistrée à la Présidence du Sénat le 20 juin 2019
PRÉSENTÉE PAR
Mme Françoise LABORDE, MM. Joël LABBÉ, Guillaume ARNELL, Stéphane ARTANO, Alain BERTRAND, Henri CABANEL, Mme Maryse CARRÈRE, MM. Joseph CASTELLI, Yvon COLLIN, Jean-Pierre CORBISEZ, Mme Josiane COSTES, M. Ronan DANTEC, Mme Nathalie DELATTRE, MM. Jean-Marc GABOUTY, Éric GOLD, Jean-Noël GUÉRINI, Mme Véronique GUILLOTIN, M. Éric JEANSANNETAS, Mme Mireille JOUVE, MM. Olivier LÉONHARDT, Jean-Claude REQUIER, Jean-Yves ROUX et Raymond VALL, sénateurs.
Exposé des motifs
Mesdames, Messieurs,
« Je suis certain que nous allons désormais à une catastrophe dont notre Histoire ne nous donne aucun exemple, si nous ne changeons pas au plus vite nos coutumes, notre économie et nos politiques. Des avaries imparables suscitent à bord l’alarme finale : “Tous aux postes d’évacuation !” Même si, pour les Terriens, dénués de tout canot de sauvetage, elle sonne absurde, elle couvre de sa rumeur l’humble voix franciscaine de mon commencement. Or, hélas, les puissants de la planète n’écoutent, pour le moment, ni l’une, dramatique et irréalisable, ni l’autre, bienheureuse et salvatrice. »
Cet extrait du « Contrat naturel », paru en 1990, de Michel Serres trouve un écho particulier aujourd’hui, comme une prémonition.
De nombreux rapports d’information sénatoriaux s’accordent à dire qu’il y a urgence à adapter notre système de production et de consommation aux changements climatiques. Ils rejoignent la communauté scientifique qui alerte depuis de nombreuses années sur un futur choc climatique auquel il convient de se préparer.
Production et consommation ne sont plus territorialisées et nos territoires, même ruraux, sont « alimentairement malades » car perfusés par le ballet des camions de la grande distribution.
Il s’agit là d’une importante vulnérabilité de notre Nation en cas d’évènements de force majeure pouvant donner lieu à des troubles à l’ordre public. Cette problématique n’a rien à voir avec les plans existants de type ORSEC (Organisation de la Réponse de Sécurité Civile) qui ont montré leur efficacité, mais aussi leurs limites, en raison de contraintes de temps et d’espace. Le sujet abordé dans la présente résolution est lié à un risque systémique majeur. C’est pourquoi, il convient d’alerter l’exécutif sur l’importance d’une prise en compte de la territorialisation de la production, de la transformation et de la distribution alimentaire.
Garantir les conditions d’un niveau minimum de sécurité et d’approvisionnement alimentaire est un devoir pour les autorités publiques qui doivent être en mesure d’assurer une chaîne résiliente, allant du foncier agricole nourricier au consommateur.
Proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu le I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime,
Vu l’article L. 1111-1 du code de la défense,
Vu le rapport d’information du Sénat sur l’adaptation de la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 (n° 511, 2018-2019) – 16 mai 2019 – de MM. Ronan DANTEC et Jean-Yves ROUX, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective,
Vu le rapport d’information du Sénat sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer (n° 588, tomes I et II, 2017-2018) – 24 juillet 2018 – de MM. Guillaume ARNELL, rapporteur coordonnateur, Mathieu DARNAUD et Mme Victoire JASMIN, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer,
Vu le rapport d’information du Sénat intitulé : « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité » (n° 565, 2016-2017) – 31 mai 2017 – de MM. Hervé MAUREY et Louis-Jean de NICOLAY, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable par le groupe de travail sur l’aménagement du territoire,
Vu le rapport d’information du Sénat sur le défi alimentaire à l’horizon 2050 (n° 504, 2011-2012) – 18 avril 2012 – de M. Yvon COLLIN, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective,
Considérant l’absence totale de la question de l’alimentation dans la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile ;
Considérant que la production locale agricole demeure essentielle à la vie des populations et appartient au patrimoine français ;
Observant que le foncier agricole n’est pas sécurisé par un corpus législatif qui protège nos terres nourricières de l’accaparement par des puissances étrangères ;
Constatant une réduction des surfaces agricoles compte tenu de la pression urbaine, de l’artificialisation des terres et du surenchérissement du prix du foncier ;
Considérant que la planète comptera 10 milliards d’habitants à l’horizon 2050, il est primordial de préserver les terres arables ;
Dénonce la logique de marché qui ignore la sécurisation du foncier agricole nourricier ;
Estimant que l’agriculture locale façonne les paysages qu’elle utilise au bénéfice d’autres activités économiques comme le tourisme vert et les filières d’excellence ;
Observe que, même si les exploitations agricoles et le foncier qui leur est lié sont des établissements, ouvrages ou installations qui fournissent des services indispensables à la satisfaction des besoins essentiels pour la vie des populations, ils ne sont pas considérés comme des points d’importance vitale (PIV) ;
Observe, en outre, que les agriculteurs exploitent ou utilisent des installations indispensables à la vie de la Nation (foncier agricole), alors qu’ils ne sont pas considérés comme des opérateurs d’importance vitale (OIV) ;
Souligne que le changement climatique menace directement la production agricole ;
Juge préoccupante la raréfaction en ressources hydriques et les perturbations qui en découlent sur le secteur agricole ;
Estime urgent de mettre à niveau les dispositifs territoriaux, de cartographie et d’équipements, notamment pour parer aux situations extrêmes de pénurie d’eau ;
Juge indispensable de renforcer la capacité d’anticipation et de prévention des pénuries avec, en particulier, une meilleure préparation des populations à des situations de crises majeures ;
Constate la détresse et les émeutes des populations, notamment en outre-mer, lors d’évènements climatiques exceptionnels ou de blocages ;
Observe que, si les plans d’urgence dits « ORSEC » ont prouvé leur efficience sur des périodes courtes de quelques jours, lors d’épisodes météorologiques exceptionnels, ils ne pourraient pas répondre aux besoins de la population sur une temporalité plus longue et des territoires plus vastes ;
Rappelle que l’environnement et les ressources sont des biens communs, qui doivent être gérés dans le cadre d’une véritable stratégie de solidarité territoriale ;
Rappelle l’importance du soutien au développement de l’agroécologie en tant que pratique agricole, limitant le recours aux intrants de synthèse et se basant sur le fonctionnement des écosystèmes, qui est la plus à même de garantir la résilience alimentaire ;
Constate que les vulnérabilités évidentes de notre système de production et d’approvisionnement alimentaire existent aussi dans le domaine de la production et de l’approvisionnement en médicaments, sur le territoire national ;
En conséquence,
Invite le Gouvernement à développer des mesures alternatives aux dispositifs de gestion de crises de force majeure pouvant survenir sur le territoire ;
Appelle le Gouvernement à mesurer l’importance d’une stratégie de territorialisation des productions alimentaires, d’une cartographie des flux de production alimentaire et d’une préparation des populations ;
Appelle à la rénovation urgente du cadre de la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile pour y intégrer la résilience alimentaire des territoires ;
Incite le Gouvernement à promouvoir le lien entre résilience alimentaire et sécurité nationale, à travers le continuum sécurité-défense ;
Encourage le Gouvernement à engager une révision de la loi de programmation militaire pour réfléchir à l’intégration de la production et du foncier agricole nourricier comme « secteur d’activité d’importance vitale » (SAIV), tel que défini à l’article R. 1332-2 du code de la défense comme « secteurs qui ont trait à la production et la distribution des biens ou de services indispensables (dès lors que ces activités sont difficilement substituables ou remplaçables) : satisfaction des besoins essentiels pour la vie des populations ; exercice de l’autorité de l’État ; fonctionnement de l’économie ; maintien du potentiel de défense ; ou sécurité de la Nation » ;
Encourage enfin le Gouvernement à présenter au Parlement une loi de sauvegarde du foncier agricole, en lien avec tous les acteurs concernés, notamment la Fédération nationale des SAFER.
> Voir la proposition de résolution