Jeudi 4 février 2016, le Sénat a examiné la proposition de résolution européenne sur les conséquences du traité transatlantique pour l’agriculture et l’aménagement du territoire, présentée par M. Michel BILLOUT (CRC – Seine-et-Marne) et plusieurs de ses collègues.
Cette proposition de résolution européenne, déposée en application de l’article 88-4 de la Constitution, appelle à la préservation des modèles agricoles français et européen dans le cadre de la négociation du Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI ou TTIP en anglais) entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Elle souligne notamment la nécessité de maintenir des normes de haute qualité.
La proposition de résolution européenne appelle également à une plus grande transparence et à un meilleur contrôle démocratique des négociations.
Le Sénat a adopté ce texte.
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Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier Michel Billout d’avoir présenté cette résolution au nom du groupe communiste, républicain et citoyen. Il s’agit d’un débat nécessaire. Je voudrais également saluer la rapporteur de la commission des affaires économiques, Mme Primas, et le président de la commission des affaires européennes.
Madame Primas, si vous n’aviez pas été rapporteur et si vous aviez appartenu au groupe communiste, on aurait parlé d’anti-américanisme primaire tellement les arguments à charge contre ce traité – vous les avez écrits avec objectivité – sont forts.
Nous vivons vraiment une drôle d’époque. Si le traité transatlantique n’était pas signé – M. le secrétaire d’État nous parle d’incertitude… –, la Terre s’arrêterait-elle de tourner ? Pour ma part, je pense qu’elle tournera mieux – et j’emploie à dessein le temps futur et non le temps conditionnel.
Notre assemblée est particulièrement préoccupée par ces négociations, qui suscitent de lourdes inquiétudes sur toutes les travées de cet hémicycle. Dans ce que l’on appelle « le monde agricole », seuls les tenants de l’agriculture industrielle et de l’agro-industrie sont intéressés à la signature de ce traité.
Les exportations de vin seront-elles stoppées par les barrières douanières ? Non, notre vin de qualité continuera de s’exporter. Regardons d’abord vers le marché européen.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez parlé de « mascarade » à propos de ces négociations. Elles sont effectivement bien mal engagées. À l’heure où la France a joué un rôle clé dans la conclusion d’un accord ambitieux pour le climat à travers la COP 21, la Commission européenne négocie en dehors de tout cadre démocratique un traité qui va entraîner un accroissement des échanges avec des partenaires situés à plus de 10 000 kilomètres de notre continent, alors que les impératifs climatiques commandent de privilégier la relocalisation de l’alimentation.
L’OMC et la FAO ? Plutôt que de permettre la conclusion de ce genre d’accord bilatéral, il faut mettre en œuvre une gouvernance mondiale de l’alimentation. C’est un besoin vital !
Le volet « agriculture » de ces négociations vise à remettre en cause nos normes sanitaires, nos normes de qualité, nos indications géographiques protégées, nos savoir-faire, la plus-value de nos terroirs. C’est pratiquement la remise en cause de notre modèle de société. Et si j’ai du respect pour les Américains, leur modèle de société n’en est pas un à mes yeux ! (Mme la rapporteur s’exclame.)
Aujourd’hui, les jeunes générations travaillent sur l’alimentation de proximité, l’agriculture en ville, la permaculture, l’agriculture organique et biologique… Tout cela est également en train d’émerger en Amérique, ne l’oublions pas.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Vive l’Amérique, alors !
M. Joël Labbé. Permettez-moi de citer votre rapport, madame Primas : « D’après une récente étude de l’Institut de l’élevage, les exploitations d’engraissement américaines ont des coûts 40 % moins élevés que les ateliers d’engraissement français ». Tout est dit !
Encore faut-il comparer ce qui est comparable, et en l’occurrence c’est absolument incomparable. Je cite de nouveau votre rapport : « […] la fragilisation de l’élevage bovin constituerait une menace pour la survie de nombreux élevages [de notre pays]. On le sait ! Dès lors, faudra-t-il multiplier les « 1 000 vaches », les « 1 000 taurillons », les « 150 000 poulets » et autres ? Nous lutterons contre cette logique qui n’est pas la nôtre, et nous lutterons debout !
Au final, la production de viande bovine est beaucoup plus compétitive aux États-Unis qu’en Europe. Le différentiel calculé par l’Institut de l’élevage entre la France et les États-Unis est estimé, dans une étude récente, à 1,83 euro par kilo de carcasse. Nous ne jouons pas dans la même cour !
D’ailleurs, dans les négociations, monsieur le secrétaire d’État, on parle de « rounds ». Nous approcherions du dernier round. Or, en sport, il y a des règles du jeu, qui sont connues de tous. Ici, l’opacité qui règne fait qu’il n’y a pas de règle du jeu. Par ailleurs, à faire tellement plus valoir nos arguments défensifs que nos arguments offensifs, il me semble que, veuillez me pardonner cette expression, nous sommes véritablement « mal barrés » dans ce match.
Notre rapporteur estime que la France ne devrait pas hésiter à refuser un accord conclu dans la précipitation, s’il devait s’agir d’un mauvais accord pour l’agriculture et les produits alimentaires.
Si cette proposition de résolution européenne nous convient, elle ne va pas assez loin. Vous l’avez déjà dit, monsieur le secrétaire d’État, en cas de désaccord, la partie agricole devra être retirée.
Aussi, pour ma part, je l’ai décidé cette nuit, au nom des écologistes, que je n’ai pas pu consulter (Exclamations amusées.),…
M. Roger Karoutchi. Mais que se passe-t-il ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce n’est pas très démocratique !
Mme Sophie Primas, rapporteur. Quid de la démocratie participative ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Joël Labbé. Je vais conclure…
M. le président. … démocratiquement. (Sourires.)
M. Joël Labbé. Il semblerait que cette bonne proposition de résolution européenne, qui ne va pas suffisamment loin, fasse l’unanimité dans les rangs de notre assemblée. Or, vous le savez, j’apprécie en général l’unanimité. Pour ne pas la compromettre, et parce que je veux aller plus loin, je ne prendrai pas part au vote. (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
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