Mercredi 23 mars 2016, le Sénat a examiné en deuxième lecture la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, présentée par M. Jean-Claude LENOIR (Les Républicains – Orne).
Cette proposition de loi vise à :
- améliorer la transparence et mieux partager la valeur ajoutée tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, du producteur au consommateur, notamment en instaurant une conférence agricole annuelle, en imposant l’utilisation d’indicateurs d’évolution de coûts de production dans la contractualisation agricole, en plus des indicateurs de prix de marché, ou en instaurant une plus grande transparence sur l’origine des produits alimentaires ;
- faciliter l’investissement et la gestion des risques financiers en agriculture, notamment en créant un livret vert pour drainer l’épargne populaire vers les secteurs agricole et alimentaire, en permettant aux agriculteurs de reporter les échéances, hors intérêt, des emprunts qu’ils ont souscrits pour financer leurs investissements, lorsqu’ils sont touchés par des crises ou en assouplissant le mode de calcul du seuil de déclenchement de la déduction pour aléas (DPA) ;
- alléger les charges administratives et financières qui pèsent sur la compétitivité des entreprises agricoles.
Elle a été adoptée en première lecture au Sénat le 9 décembre 2015. L’Assemblée nationale l’a rejetée le 4 février 2016 par adoption d’une motion de rejet préalable.
Le Sénat a adopté ce texte en deuxième lecture. Les écologistes ont voté contre.
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Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à débattre en deuxième lecture de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Au lieu de compétitivité, ce maître mot censé être le remède à tous les maux de notre société lancée dans la recherche insensée d’une croissance qui n’arrivera plus, nous devrions plutôt parler de résilience (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.), mais il est encore trop tôt…
Aujourd’hui, au lendemain de la suppression des quotas laitiers, que certains ont souhaité, il convient de le rappeler, notre agriculture et nos élevages paient le prix fort sur l’autel de la compétitivité. Notre agriculture et notre système d’alimentation sont justement déjà victimes de la compétitivité sauvage, dans une économie mondialisée, dérégulée, appuyée sur le dogme consacré de l’Union européenne de la concurrence libre et non faussée. Tous les jours, on entend les mots d’ordre de la pensée dominante.
Retrouver la compétitivité pour l’agriculture et l’agroalimentaire, c’est viser l’agrandissement, la concentration et la spécialisation en vue de maintenir notre niveau d’exportation… C’est aussi viser la modernisation… Pour obtenir tout cela, bien sûr, il faut également viser l’investissement, et donc l’endettement qui va avec. C’est le prix à payer pour la compétitivité !
En début d’année, dans le département du Morbihan – je constate que les trois sénateurs du Morbihan sont présents dans l’hémicycle aujourd’hui –, j’ai assisté à une réunion de crise entre politiques et représentants de la profession. J’ai été effaré d’entendre dire que près de 15 % des exploitations morbihannaises seraient, à terme, condamnées et qu’il conviendrait d’accompagner les exploitants vers une sortie de la profession dans la dignité. Un tel constat est pour moi inacceptable ! Ce taux de 15 % semble, je crois, conforme à la proportion nationale. Je le redis : c’est inacceptable !
Il est aussi inacceptable de s’entendre dire : « Soit vous vous adaptez, soit vous disparaissez ! » Les gens qui tiennent de tels propos ne mesurent pas la violence extrême de ces mots pour ceux qui galèrent dans un travail pénible, qui ne comptent pas leurs heures au service d’une activité noble et dont l’objectif est de produire de la nourriture pour les autres, alors que ce dur métier ne les nourrit plus eux-mêmes.
Monsieur le ministre, pour apporter les réponses dans l’urgence, vous ne vous êtes pas ménagé,…
François Marc. C’est vrai !
Joël Labbé. … malgré toutes les critiques de la part de ce qu’on appelle la « profession ».
Vous avez obtenu du Conseil européen des mesures temporaires d’intervention sur le marché par le stockage de poudre de lait, de beurre et de viande porcine. Ces mesures vont permettre de sauver un certain nombre d’exploitations, mais pour combien de temps ?
Vous avez aussi obtenu des mesures d’étiquetage des viandes, mais à titre expérimental. Il faudra d’ailleurs aller au-delà de l’étiquetage. C’est la raison pour laquelle je défendrai trois amendements, qui, je l’espère, connaîtront un sort heureux.
Plus que jamais, je suis convaincu que c’est notre modèle, que j’appelle volontairement le « modèle dominant », qu’il faut remettre en question. Je l’appelle « dominant », parce qu’il refuse de laisser la place aux autres. Pourtant, les autres existent ! Ils travaillent sur leurs terres et dans leurs élevages et sont bien moins touchés par la crise. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ceux-là, même s’ils ne manifestent pas, éprouvent aussi du ras-le-bol. Nous en connaissons tous sur nos territoires respectifs. Ils nous disent aujourd’hui : foutez-nous la paix !
Foutez-nous la paix ! c’est le titre du dernier livre d’Isabelle Saporta, journaliste et chroniqueuse. Je vous invite vivement à lire cet ouvrage, sous-titré Cette France qui résiste, qui décrit ces paysans qui ont choisi de travailler sur des productions de qualité, en circuit court avec le plus possible d’autonomie,…
Mme Sophie Primas. Oh !
Joël Labbé.… et qui sont victimes de tracasseries administratives et de contrôles excessifs, parce qu’ils ne sont pas dans les clous des normes sanitaires formatées par et pour l’agrobusiness. Ils doivent faire face à un amoncellement de normes sanitaires et environnementales complètement inadaptées à l’agriculture paysanne et aux métiers de l’artisanat de bouche. C’est pourtant toute cette activité de proximité qui permettra l’ancrage territorial de l’alimentation que nous appelons tous de nos vœux.
À ce propos, au détour d’une conversation, dimanche matin, j’ai appris que les agriculteurs bio doivent aussi suivre une formation certiphyto et obtenir un certificat, alors que, par définition, ils n’utilisent pas de produits phyto-chimiques ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Bien sûr que si !
Joël Labbé. Il est grand temps de se préparer à l’ère de l’après-pesticides.
Samedi, je participais à Rennes à un débat sur la biodiversité intitulé « La COP 21…, et après ? », en présence de Gilles Bœuf et de Jean-Claude Pierre, notamment. J’ai écouté avec plaisir et grande attention la présentation de son exploitation faite par un paysan, M. Jacques Morineau du GAEC Ursule en Vendée. J’ai d’ailleurs appris que vous aviez visité cette exploitation, monsieur le ministre.
Stéphane Le Foll, ministre. Je l’ai même récompensée !
Joël Labbé. Un système de polyculture et d’élevage, des rotations longues, toutes les parcelles entourées de haies bocagères et de bandes enherbées, des cultures le plus souvent associées ou mélangées, jamais sur des surfaces excédant cinq à six hectares, l’autonomie en fourrages et en protéines, la production de semences sur l’exploitation, la fertilisation par les matières organiques issues de l’élevage : tout cela, sans néonicotinoïdes, sans glyphosate, sans produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Il faudra bien que l’on sorte de toutes ces substances !
Parmi les nombreuses réponses alternatives qui nous ont été présentées samedi, je citerai l’exemple du petit pois. En culture pure, il est victime d’un coléoptère qui s’appelle la bruche et qui pond ses œufs sur le pois. Pour l’éviter, la culture du pois est mélangée à celle de l’orge qui pousse plus haut : vu du ciel, les coléoptères n’aperçoivent que l’orge et vont voir ailleurs ! Cette agriculture-là, il faut la soutenir, elle le mérite !
Mme la présidente. Il faut conclure !
Joël Labbé. Pour conclure, je dirai que l’Union européenne définit la compétitivité comme « la capacité d’un État à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité ». Or la proposition de loi ne va pas dans le sens de cette définition humaniste d’une Europe capable du meilleur en intention et du pire en application. Aussi, au nom des écologistes, je ne voterai pas le texte. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
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