Dans le cadre d’un ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain, le Sénat a poursuivi l’examen de la proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale le 11 février 2015, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
Cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale le 30 mars 2015, vise à instaurer, pour les sociétés françaises employant plus de 5.000 salariés en France ou 10.000 salariés dans le monde, en incluant leurs filiales, l’obligation d’élaborer, de rendre public et de mettre en œuvre un plan de vigilance destiné à prévenir les risques d’atteinte aux droits de l’homme, de dommages corporels, environnementaux et sanitaires, ainsi que de corruption qui pourraient résulter des activités de la société mère, des sociétés qu’elle contrôle et de ses fournisseurs et sous-traitants, en France comme à l’étranger.
La commission des lois, réunie le 14 octobre 2015, n’avait pas adopté cette proposition de loi souhaitant notamment que la question puisse être traitée à l’échelle de l’Union européenne.
Après avoir terminé la discussion générale, entamée le 21 octobre dernier, le Sénat a supprimé les trois articles du texte. En conséquence, la proposition de loi n’a pas été adoptée.
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Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, même si cela m’a beaucoup coûté, je me suis permis de vous adresser une lettre ouverte. Je souhaite vous exprimer le fond de ma pensée sur ce texte. Au nom du groupe écologiste, je demanderai un scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi. Je le ferai d’abord sur chacun des amendements de suppression, si tant est qu’ils soient maintenus,…
Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Ce n’est pas à vous d’en décider !
Joël Labbé.… ce dont je ne suis pas certain.
Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nous verrons bien !
Joël Labbé. Le 24 avril 2013, les immeubles du Rana Plaza s’effondrent, faisant 1 138 morts et plus de 1 500 blessés. On se rend compte des conditions inacceptables de travail qui y avaient cours. Les étiquettes des commanditaires ont parlé : Carrefour, Auchan, Camaïeu. Ces marques, qui étalent chez nous leurs belles vitrines, ont une part énorme de responsabilité, par la pression qu’elles exercent pour profiter de coûts toujours plus bas, imposer des délais de production toujours plus courts et, bien entendu, dégager des marges toujours plus importantes. Comment cautionner ces formes nouvelles d’un abominable esclavage moderne, dissimulé dans un contexte de mondialisation par des relations obscures de sous-traitance et de filialisation ? La présente proposition de loi est très modérée. Elle prévoit l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de vigilance. Seules les atteintes graves aux droits humains sont visées. En réalité, ce texte ne fait que rendre effectifs les engagements internationaux de la France en matière d’environnement, de droits humains et de droit du travail, notamment les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Quels sont les arguments avancés par ceux qui s’y opposent ? Le principal, c’est celui de la compétitivité des sociétés françaises.
Christophe-André Frassa, rapporteur. Pas exactement !
Joël Labbé. Vient ensuite l’argument habituel selon lequel c’est à l’Europe de se positionner. Comme si l’Europe, ce n’était pas nous !
Christophe-André Frassa, rapporteur. Ce n’est pas seulement nous !
Joël Labbé. D’autres pays européens se préparent d’ailleurs à adopter des dispositions similaires à celles que nous examinons ce soir. La France n’a-t-elle pas le devoir d’aller de l’avant ? Je parle de la France, pays des Lumières, pays des droits de l’homme ; je parle de cette France rebelle, de cette France qui se tient debout aujourd’hui ! N’est-ce pas le moment pour elle de retrouver toute sa fierté, toute sa dignité ? Ensuite, les autres pays d’Europe, puis l’Union européenne suivront. Et, enfin, c’est sur la planète entière que les droits humains seront respectés ! Le rôle du Sénat a été, me semble-t-il, bien défendu cet après-midi sur toutes les travées de l’hémicycle. Mais, il faut le dire, aujourd’hui, l’image de notre institution aux yeux des Françaises et des Français n’est pas terrible ! Adopter la présente proposition de loi, ce serait justement l’occasion de réhabiliter le rôle politique de la Haute Assemblée. Ce serait l’occasion de défendre l’intérêt public, l’intérêt du bien public, l’intérêt des générations futures. Ce serait l’occasion d’être véritablement moteur sur la question des droits humains, pour que ceux-ci soient respectés partout dans le monde ! Définitivement ! Aujourd’hui, nous sommes en deuil. On parle beaucoup, et à juste titre, des morts ! Combien de familles endeuillées ? Combien de familles qui nous inspirent de la peine ? Mais la vie a la même valeur partout, sur toute la planète !
Alors, pourquoi un tel blocage ?
D’abord, une motion préjudicielle a été déposée en commission, afin d’enterrer complètement le texte. Pour ma part, j’ai découvert cette manière de procéder ! Fort heureusement, cette motion n’a pas été votée.
Christophe-André Frassa, rapporteur. Elle a été retirée ; ce n’est pas la même chose !
Joël Labbé. En séance, des amendements de suppression seront présentés pour empêcher le texte de passer. Étant curieux de nature, je me suis renseigné pour savoir d’où une telle opposition venait. Et je suis remonté jusqu’à l’Association française des entreprises privées. Ici, cette organisation pèse sur le parti politique qui tient à ce que la proposition de loi ne soit pas votée. Je tiens à le dire haut et fort ! Il faut le savoir, l’Association française des entreprises privées réunit tous les patrons du CAC 40 et des grandes sociétés françaises !
Philippe Bas, président de la commission des lois. Elle ne s’en cache pas !
Joël Labbé. Pour ma part, je ne la connaissais pas !
Christophe-André Frassa, rapporteur. Il faut lire les journaux !
Joël Labbé. Il faut absolument que le Sénat entende cette association et l’interroge sur ses motivations ! J’ai demandé un scrutin public, car je souhaite que chaque sénatrice et que chaque sénateur exprime son vote en son âme et conscience. J’espère que nos collègues absents ce soir ont pu faire connaître leur avis sur ce texte auprès de leur groupe. Oser voter à la place de quelqu’un qui n’a pas donné son avis serait une grave erreur politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
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