« Je me dois de parler de la ferme des mille vaches. »
Tout d’abord, je vous salue, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification. À la suite des dernières valses de ministres et de secrétaires d’état, je ne vous avais pas identifié, ce dont je vous prie de m’excuser. Or voilà une dizaine de jours, en« zappant » un soir, je vous ai vu par hasard, je ne sais ni sur quelle chaîne de télévision ni dans quelle émission. (Sourires.)
Mme Catherine Procaccia. Pas de publicité !
M. Joël Labbé. J’ai alors été accroché par vos propos, que j’ai trouvés particulièrement intéressants.
Vous souhaitiez un « gouvernement plus ouvert, plus en dialogue avec la société, plus transparent », arguant que c’était « une des conditions de la réussite des réformes ».
M. Gérard Cornu. Quel coup de brosse !
M. Joël Labbé. La brosse, ce n’est pas mon genre, mon cher collègue, rassurez-vous !
Quoi qu’il en soit, je partage totalement ces convictions, monsieur le secrétaire d’état.
Plus en dialogue avec la société, c’est essentiel !
Je suis personnellement très préoccupé de savoir à quel point notre population se sent en rupture avec sa représentation nationale. Je pense que ce sentiment de malaise est partagé par un certain nombre d’entre nous. Un sondage IPSOS datant du mois de janvier dernier illustre parfaitement cette rupture : 72 % de la population ne font pas confiance à l’Assemblée nationale tandis que 73 % de nos concitoyens n’accordent pas leur confiance au Sénat ; 78 % des Français ne croient plus en général à la chose politique.
Il est donc grand temps que, collectivement, nous nous remettions en question. Je tenais à vous le dire en préambule, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sans toutefois donner de leçon.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez aussi déclaré vouloir développer toutes les méthodes collaboratives pour dessiner de nouvelles solutions, et ce avec des exigences méthodologiques très strictes. C’est important.
Pour la rédaction du présent projet de loi, ou plutôt pour sa co-rédaction, vous avez mis en place une série d’ateliers participatifs. Le texte initial, ultérieurement amendé par l’Assemblée nationale, contenait selon nous des avancées fort intéressantes.
C’était avant son passage en commission au Sénat, où pas moins de quatre commissions ont été saisies pour avis, ce qui n’est pas la meilleure des méthodes. Résultat : le texte que nous examinons en séance est bien différent de celui résultant des travaux de l’Assemblée nationale. Alors qu’on le trouvait tout de même un peu fourre-tout, il a désormais beaucoup perdu de sa portée, ce qui est particulièrement décevant.
La commission des affaires sociales a introduit le contrat de travail à durée déterminée à objet défini, une nouvelle forme de contrat précaire pour les cadres ayant déjà été introduit à titre expérimental dans la loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail. Je regrette que ce mécanisme ait été réintroduit dans le présent projet de loi sans que l’usage qui en a été fait ait été évalué et sans que le bénéfice réel retiré par l’entreprise et par le salarié par rapport au CDD classique ait été mesuré.
Nous devons mener une grande réflexion sur l’emploi et sa rémunération. Une étude vient de montrer que les robots pourraient remplacer 3 millions de salariés d’ici à 2025. Que ferons-nous lorsque nous aurons 6 millions de chômeurs ? Est-ce que nous inventerons le contrat de travail imaginaire ? Aussi, je plaide pour la suppression de l’article 2 quinquies introduit par la commission des affaires sociales.
L’article 12 a supprimé une disposition importante de la loi relative à l’économie sociale et solidaire qui oblige à informer les salariés en amont de la vente de leur entreprise afin de leur en permettre la reprise éventuelle. Si l’on peut comprendre les critiques portant sur cette disposition, il faut également tenir compte des avantages qu’elle comporte, afin, comme l’a dit M. le ministre précédemment, de favoriser au maximum la reprise d’entreprises et le maintien de l’emploi.
Je proposerai également par amendement la suppression de l’article 11 bis introduit à l’Assemblée nationale et qui vise à autoriser, par dérogation au code de l’environnement, le convoyage par motoneige de la clientèle vers les établissements touristiques d’altitude offrant un service de restauration. Bel exemple de cavalier législatif !
M. André Reichardt, rapporteur. Tout à fait !
Mme Annie David. Bien sûr que c’est un cavalier !
M. Joël Labbé. Un cavalier blanc qui aurait pu se fondre dans les somptueux décors enneigés de nos espaces naturels… Mais c’est un cavalier bruyant, et c’est là son grand défaut !
Sérieusement, nous sommes dans cet hémicycle pour défendre l’intérêt général et le bien public ; or l’article en question ne concerne strictement que quelques intérêts très privés et favorise une pratique qui va à contre-courant de la défense du bien public.
Je me suis renseigné sur le fonctionnement actuel des restaurants d’altitude : on y accède à pied, à ski ou en raquette, ce qui fait l’intérêt et le charme de ces établissements, situés dans un cadre extrêmement privilégié. Une simple augmentation de l’amplitude horaire des remontées mécaniques donnerait une réponse complémentaire plus que satisfaisante.
N’oublions pas, quand même, que 40 % des Français ne partent plus en vacances,…
Mme Annie David. Eh oui !
M. Joël Labbé. … que moins de 10 % vont aux sports d’hiver dont un très faible pourcentage profite de la restauration d’altitude. Le maintien de cet article serait un scandale aux yeux des Françaises et des Français,…
Mme Annie David. Très bien !
M. Joël Labbé. … que nous représentons et avec lesquels nous nous devons de renouer le dialogue.
Pour rester dans le domaine de l’hôtellerie, j’ai proposé un amendement tendant à protéger les professionnels contre l’abus des centrales de réservation qui opèrent un véritable racket – tout en ayant, d’ailleurs, un siège à l’étranger – et qui mettent à mal la petite hôtellerie familiale, élément de notre patrimoine. Malheureusement, cet amendement a été déclaré irrecevable ; je fais toutefois confiance au Gouvernement pour s’occuper pleinement de la question et je ne manquerai pas de le questionner sur le sujet, et, si besoin est, de l’interroger de nouveau.
Enfin, je me dois de parler de la ferme des mille vaches, question qui n’est pas sans rapport avec le présent texte, une exploitation agricole étant aussi une entreprise.
La semaine dernière, j’ai« séché » les travaux de la commission des affaires économiques, car j’avais choisi d’être présent au procès qui s’est déroulé à Amiens. Une grande majorité des Françaises et des Français que nous représentons et avec lesquels nous nous devons de renouer le dialogue, je le répète, s’oppose à ce type d’industrialisation et de financiarisation de notre agriculture. Une opposition déterminée à réduire le nombre de vaches de 1000 à 500 s’est fait jour, mais ce nombre est encore beaucoup trop élevé.
Seulement voilà : le contexte législatif actuel ne nous permet pas de limiter la concentration des terres, ou, du moins, ceux qui souhaitent réaliser une telle concentration ont les moyens de contourner l’exercice du nouveau droit de préemption des SAFER, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, sur les parts de société.
Aussi, j’ai déposé un amendement visant à permettre aux SAFER de préempter non pas la totalité, mais la majorité des parts de société. Il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, ce que je conteste, car les SAFER sont financièrement indépendantes.
C’est pourquoi, même si la commission n’aime guère les demandes de rapports, je sollicite par amendement, avec force, un rapport au Gouvernement sur l’extension du droit de préemption des SAFER aux parts de société, y compris dans le cas où la cession ne porte pas sur l’intégralité des parts. Je suis convaincu que cet amendement recueillera une majorité de voix au sein du Sénat, et peut-être même l’unanimité.
En outre, j’ai reçu, hier, des représentants de la CAPEB, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, du Morbihan qui ont tenu à me faire part du sentiment de grande lassitude qui règne dans tous les métiers du bâtiment en raison de l’extrême complexité des dossiers d’aides publiques dans le domaine de la rénovation. Ils souhaitent une véritable simplification en la matière, et pourquoi pas l’instauration d’une TVA à 5,5 % pour l’ensemble des travaux. Je crois que cette mesure doit être étudiée, monsieur le secrétaire d’État.
Quant au compte personnel de prévention de la pénibilité, il faut vraiment travailler à une procédure beaucoup plus simple, tout en maintenant ce dispositif, qui est essentiel.
Un mot, enfin, sur les banques, qui ne jouent pas leur rôle de soutien à la trésorerie des très petites entreprises.
Pour conclure, je suis très favorable à la simplification de la vie des entreprises et je souhaite vivement pouvoir voter en faveur du présent projet de loi. Néanmoins, si le texte n’évoluait pas au cours de la discussion et si mes amendements ne recevaient aucun écho, je pourrai m’abstenir, de même que les membres de mon groupe.
> Voir objet du texte et étapes de la discussion
> Voir le communiqué de presse : Moto-neige dans les espaces naturels de montagne : les écologistes déplorent le maintien de la dérogation