L’ INVITÉ DU PEUPLE BRETON : JOËL LABBÉ
« Si la prise de conscience émerge aujourd’hui quant aux conséquences du modèle agricole productiviste, les avancées demeurent insuffisantes au regard de l’urgence de la situation »
Élu au Sénat en 2011, vice-président de la commission des Affaires économiques, j’ai rapidement orienté mon travail de parlementaire sur les questions agricoles et alimentaires, et de préservation de
la biodiversité. En 2012, la possibilité m’a été donnée de participer aux travaux de la Mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. Après sept mois de travail, le rapport et sa centaine de propositions ont été adoptés à l’unanimité. Les conclusions en étaient suffisamment alarmantes pour qu’elles aboutissent à des propositions exigeantes.
M’appuyant sur mon expérience en tant que maire de Saint-Nolff, l’une des premières communes en zéro-phyto de Bretagne, j’ai travaillé dès lors à une proposition de loi ciblant les usages non agricoles
des pesticides (10 % de la consommation française environ). Adoptée par le Sénat en novembre 2013, puis par l’Assemblée nationale en janvier 2014, amendée par la loi de transition énergétique pour
la croissance verte en juin 2015, la loi Labbé interdit depuis le 1er janvier 2017 l’usage des produits phytosanitaires par l’État, les collectivités locales et établissements publics pour l’entretien des espaces
verts, promenades, forêts et voiries. Elle prévoit par ailleurs l’interdiction de mise sur le marché, de délivrance, d’utilisation et de détention de produits phytosanitaires pour les particuliers à compter du 1er janvier 2019.
Un premier pas
Un premier pas dans la lutte contre les pesticides a été franchi, et c’est sans conteste une grande victoire de mon premier mandat. Les produits de biocontrôle, qualifiés à faible risque ou dont l’usage est autorisé dans le cadre de l’agriculture biologique pouvant être utilisés, je suis de près le travail engagé par les services de l’État d’homologation et de mise sur le marché des alternatives naturelles aux pesticides.
Dans le même élan, j’ai déposé au Sénat en mars 2017 une proposition de résolution européenne visant à généraliser les principes de la loi Labbé à l’ensemble de l’Europe. Je travaille activement
aujourd’hui avec mes homologues européens afin qu’ils adoptent sur leur propre territoire une réglementation ambitieuse concernant les pesticides, tout en généralisant les pratiques alternatives. L’interdiction des pesticides néonicotinoïdes, particulièrement impliqués dans le déclin des populations d’abeilles et suspectés d’avoir des effets sur l’homme, reste aussi l’un de mes grands combats.
Alerté par la communauté scientifique et la profession apicole dès 2012, je n’ai eu de cesse d’interpeller les pouvoirs publics sur les effets délétères de ces substances. En juin 2014, j’ai déposé une
proposition de résolution invitant le gouvernement français à agir auprès de l’Union européenne pour une interdiction totale des néonicotinoïdes, qui a été rejetée le 4 février 2015 au Sénat.
N’ayant pas réussi à trouver de majorité, excédé par le poids des lobbies agricoles et phytosanitaires et les consignes de vote, j’en ai même arraché ma cravate dans l’Hémicycle en guise de protestation !
Un parcours semé d’embûches
Après un parcours semé d’embûches, la mobilisation sans faille des écologistes, de leurs partenaires et de la société civile l’a emporté : aux termes des débats sur le texte biodiversité en juillet 2016, l’interdiction des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ainsi que les semences traitées avec ces produits a enfin été actée, à compter du 1er septembre 2018, sauf dérogation possible jusqu’au 1er juillet 2020.
Le projet de loi agriculture et alimentation, qui vient d’être discuté au Parlement en première lecture, interdit quant à lui « l’utilisation des substances actives présentant des modes d’action identiques à
celles de la famille des néonicotinoïdes ». Nous pouvons nous féliciter de la dynamique française sur le sujet, malgré des ambitions revues à la baisse : l’interdiction du glyphosate d’ici trois ans tout comme
l’interdiction des épandages des pesticides près des lieux de vie ne figurent pas dans le projet de loi agriculture et alimentation.
Si la prise de conscience émerge aujourd’hui quant aux conséquences écologiques, sociales et économiques du modèle agricole productiviste, les avancées demeurent insuffisantes au regard de l’urgence de la situation des agriculteurs, de notre environnement, et des problèmes posés par les pesticides.
De nombreux combats restent à mener pour une véritable et profonde réorientation de nos politiques agricoles, et le développement d’une agriculture paysanne pourvoyeuse d’emplois, de revenus
décents, et respectueuse de l’environnement et de la santé. Cette nécessaire transition ne pourra se faire sans une forte mobilisation citoyenne. •