LIBÉRATION / 14-01-2013
Alors que 90 % des ressources naturelles sont situées dans les pays du Sud, 97 % des brevets sur ces ressources sont détenus par des compagnies pharmaceutiques, agroalimentaires ou cosmétiques des pays du Nord. Comment mieux protéger la biodiversité et les populations locales qui en tirent leur subsistance, comment mieux partager les richesses produites par ces trésors naturels et les savoirs ancestraux qui les ont mis à jour ? Comment mettre fin à cette pratique que l’on nomme « biopiraterie » ?
Un des cas emblématiques de la « biopiraterie » concerne le neem (margousier indien), surnommé « l’arbre miracle » en Inde où il est utilisé depuis plus de deux mille ans pour ses nombreuses propriétés médicinales, qui ont fait l’objet, en 1990, de 64 brevets par des firmes privées, notamment le géant de l’agrochimie W.R. Grace. Cela a entraîné une augmentation de la demande de graines de neems, et la hausse des prix au-delà de ce que les populations locales pouvaient payer afi de poursuivre son utilisation. Le combat pour faire annuler ces brevets a pris dix ans avant que l’Office européen des brevets (OEB) annule celui de W.R. Grace et reconnaisse l’antériorité des savoirs traditionnels indiens.
Dans le domaine alimentaire, l’histoire du « haricot jaune » a lui aussi marqué les esprits. En avril 1999, Larry Proctor, citoyen des Etats-Unis, dépose un brevet pour une variété de haricot jaune (« enola ») cultivée depuis des siècles par les paysans mexicains et appartenant au domaine public. Dès l’acquisition du brevet, il attaque les deux principaux importateurs de ce haricot entraînant une perte de 90 % des revenus à l’exportation de plus de 20 000 fermiers mexicains. Puis il attaque en justice les petits producteurs pour percevoir des royalties sur chaque kilo importé aux Etats-Unis. Il aura fallu dix ans, des centaines de milliers de dollars, des manifestations massives d’agriculteurs et de la société civile, l’intervention d’agences internationales telles que la Food and Agriculture Organization (FAO) et la publication de cinq décisions judiciaires pour que le United States Patent and Trademark Office’s (USPTO) finisse par annuler le brevet en juillet 2009.
C’est pour lutter contre ces abus et ces injustices, que la communauté onusienne a adopté, en 2010 au Japon, à l’occasion de la Xe Conférence de la convention pour la biodiversité, un texte juridiquement contraignant. Le protocole de Nagoya fixe ainsi les règles sur l’accès aux ressources de la diversité biologique et le partage équitable des avantages qui en découlent. Pour entrer en vigueur, 50 Etats doivent le ratifier. A ce jour, ils ne sont que neuf, dont l’Inde et le Mexique. L’Union européenne s’est engagée à adopter un règlement pour une mise en oeuvre et la ratification de ce protocole par ses 27 Etats membres. La France est engagée dans le processus. Elle est concernée par son statut d’utilisateur et de détenteur de ressources naturelles. Ses territoires d’outre-mer lui confèrent le statut privilégié de détenteur d’une richesse biologique considérable. De nombreuses communautés autochtones et locales, françaises par la Constitution, dépendent de cette biodiversité et des savoirs exceptionnels qui y sont associés.
La France est également un Etat dit utilisateur de premier plan. Avec de nombreux centres de recherches tant publics que privés, sa puissante industrie pharmaceutique et cosmétique, tout un pan de l’économie nationale est directement lié à l’état de santé de la biodiversité. Cette «double casquette» confère donc à notre pays une position unique en Europe mais aussi une responsabilité particulière. Il en va de son image, de sa compétitivité, et de son souci d’équité dans les relations internationales. Nous soutenons que la logique de marchandisation des ressources naturelles, la confiscation de leur exploitation et la privatisation des savoirs traditionnels associés sans retombées pour les populations qui les ont développés, ont démontré ses limites et ferment la porte à une multitude de nouvelles découvertes et d’innovations potentielles pour la France, pour l’Europe et pour la communauté internationale.
Il est urgent d’adopter un cadre strict et d’imposer des règles communes à l’ensemble des acteurs dans le but de faire prévaloir la notion de biens communs et un droit d’usage équitable de la nature s’opposant au très destructeur droit de propriété sur le vivant. C’est dans cet état d’esprit que doit être ratifié et mis en oeuvre le protocole de Nagoya pour une gestion commune d’un patrimoine dont nous sommes collectivement responsables et dépendants, au sud comme au nord de la planète.
Au Parlement européen, à l’Assemblée nationale et au Sénat nous demandons que tout soit mis en oeuvre pour que le protocole de Nagoya soit ratifié au plus vite. La France, par sa position particulière, doit être pilote dans le processus européen, y compris pour mieux associer les populations autochtones aux processus de décision sur ces questions qui les concernent directement.
Par Danielle Auroi, Députée EE-LV, présidente de la commission des affaires européennes , Joël Labbé, Sénateur EE-LV du Morbihan, Sandrine Bélier, député européen Europe Ecologie-les Verts, Catherine Grèze, Députées européennes EE-LV