Débat sur le thème de la « ruralité et hyper-ruralité : restaurer l’égalité républicaine »

M. Joël Labbé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’intitulé de l’introduction du rapport d’Alain Bertrand est clair : « pas de sous-territoires, pas de sous-citoyens ! » Les choses sont dites comme elles doivent l’être, ce qui ne me surprend pas du tout de la part de notre collègue.

Je veux saluer l’initiative du groupe du RDSE, qui a inscrit le présent débat à l’ordre du jour. Je salue aussi celle du Gouvernement, qui a confié à Alain Bertrand la rédaction du rapport que je viens de mentionner et dont je veux souligner l’excellente qualité et l’approche fine. Il faut dire que notre collègue, qui ne manque jamais une occasion de nous rappeler l’existence de ceux que l’on oublie trop souvent, connaît particulièrement bien le sujet !

Avant de vous livrer mon point de vue sur ce rapport, je voudrais déplorer une nouvelle fois la segmentation croissante de nos réflexions politiques : politique de la ville, politique des banlieues, politique des zones prioritaires… Cette sectorisation grandissante participe d’une approche purement urbaine. Sans vouloir accuser qui que ce soit, je considère qu’il est nécessaire de définir également une approche de la ruralité.

D’ailleurs, des assises des ruralités se tiennent actuellement dans nos territoires, sur l’initiative du Premier ministre, qui a voulu adresser un signal fort aux collectivités, aux acteurs économiques et aux territoires ruraux en général. Ainsi, hier, quatre membres du Gouvernement, dont notre ministre bretonne Marylise Lebranchu, ont participé à une réunion à Plélan-le-Petit, au cœur de la Bretagne profonde, pour bien montrer la volonté de l’exécutif de prendre en compte les problématiques de la ruralité.

Toutefois, cela ne suffit pas, puisqu’est apparu ce que l’on appelle désormais l’« hyper-ruralité ».

En fait, nous nous trouvons obligés de segmenter nos politiques pour contrer les effets néfastes de notre mode de développement – celui d’un grand marché libéral débridé, déséquilibré, non modéré et non régulé, où la complémentarité et la solidarité ont laissé place à la concurrence et à la compétitivité –, qui s’accélèrent de manière insensée.

Devant ce constat, nous souhaitons que des perspectives soient redonnées à notre pays.

Au fil des pages du rapport d’Alain Bertrand, on relève que l’État, au sens large et noble du terme, n’a pas pu ou su jouer pleinement son rôle au cours des dernières décennies.

L’hyper-ruralité, telle que définie dans le rapport de notre collègue, représente 250 bassins de vie, près de 3,5 millions d’habitants et 26 % du territoire. Il s’agit bien d’une composante importante de notre pays. Dès lors, nous ne pouvons nous affranchir d’une réflexion éclairée sur le sujet. Dans son rapport, Alain Bertrand nous livre une analyse fine, accompagnée de nombreuses propositions.

Ce que l’on appelait, à une époque, la« diagonale du vide », qui traversait la France du Sud-Ouest au Nord-Est, était une notion bien trop imparfaite, car elle négligeait les espaces hyper-ruraux des Alpes, de la Corse, mais aussi du centre de la Bretagne ou de la Normandie profonde.

Mme Nathalie Goulet. L’Orne !

M. Joël Labbé. Ces espaces se caractérisent par une population vieillissante et de faible densité, ainsi que par un enclavement important et un éloignement des pôles d’emploi et de services.

Les propositions contenues dans le rapport de notre collègue sont variées. Beaucoup relèvent du simple bon sens et de la bonne gouvernance. Je pense, en particulier, à la rénovation du foncier bâti pour revivifier les bourgs ou au renforcement de l’attractivité des postes de fonctionnaire dans les zones hyper-rurales. En lisant le rapport, j’ai appris que les primes versées à certains fonctionnaires étaient moindres en milieu rural que dans les métropoles : c’est absolument anormal, et je pense même que ce devrait être le contraire.

Je mentionnerai aussi la refonte de la péréquation financière – bien évidemment – et la révision de la fiscalité des entreprises en zone rurale, ainsi que le guichet unique et l’implantation des services de l’État dans les territoires ruraux.

D’autres propositions méritent que l’on prenne des précautions. À ce titre, la fixation à 20 000 habitants du seuil de population des intercommunalités dans les zones hyper-rurales, préconisée dans le rapport, risquerait de brouiller le lien entre l’EPCI, son bassin de vie et son bassin d’emploi, sous réserve, bien sûr, que ce dernier existe encore… Il semble risqué de fixer arbitrairement un seuil aussi élevé. Il est préférable de déterminer un certain nombre de critères à respecter, les seuils étant conservés uniquement comme des objectifs auxquels il ne faudrait pas hésiter à déroger si l’EPCI ne correspond plus à une réalité tangible sur le territoire.

Vos services nous ont d’ailleurs confirmé, madame la ministre, que des dérogations seront par exemple permises pour les îles. Il s’agissait là d’une demande forte de la part des îliens. Nous tenons donc à saluer cette réponse et à vous remercier de votre écoute sur le sujet.

Dans la même logique, si l’on reprend la définition des territoires hyper-ruraux, un rapide calcul montre que les 250 bassins de vie répertoriés comptent, en moyenne, 13 600 habitants. Nous sommes bien loin du seuil de 20 000 habitants ! On peut bien évidemment marier, dans un EPCI, un bassin de vie, un bassin d’emploi, une petite ville, mais un tel écart de population avec le seuil proposé appelle à la prudence.

Toujours au sujet des EPCI, il est proposé« d’étudier de nouveaux modes de gouvernance pour les EPCI comportant de nombreuses communes, comme la création d’un organe exécutif distinct de l’assemblée plénière, où toutes les composantes seraient représentées (à l’image de la collectivité territoriale de Corse) ». Je vous signale, mes chers collègues, que cette proposition a déjà été avancée par les écologistes dans le cadre de l’examen d’un texte de loi.

Le maintien ou, souvent, le retour des services publics dans les territoires ruraux constitue une nécessité pour restaurer une forme d’égalité des territoires. Nous savons depuis un certain temps que des lignes de chemin de fer ne sont plus exploitées au motif qu’elles sont considérées comme non rentables. Il y a lieu de revenir sur ce sujet.

Nous apprenons également, grâce au rapport, que la création de pôles multimodaux est conditionnée au respect d’un seuil financier de 5 millions d’euros. C’est tout à fait exagéré par rapport aux besoins de certains territoires ! Là encore, il convient de rectifier le tir.

En conclusion, on ne peut que souscrire à la proposition d’un pacte national pour l’hyper-ruralité, ayant – je cite le rapport – « pour vocation de permettre que s’exprime cette mise en commun des intelligences, dans le cadre de relations empreintes de maturité ». Au nom des écologistes, je soutiens cette proposition, et je me régale à l’avance de ce débat !(Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)

 

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