Débat sur la situation et l’avenir de l’agriculture

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est trop grave pour que l’on parle des petits oiseaux et des petites fleurs, quoiqu’ils aient leur importance ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

À mon tour, je tiens à vous exprimer la belle idée que je me fais de l’agriculture et de son avenir, à condition que l’on remette en cause la domination de l’agrobusiness…

Rémy Pointereau. Ah !

Joël Labbé.… et que l’on refuse les diktats du syndicat majoritaire, qui sévit depuis trop longtemps dans notre pays. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

Rémy Pointereau. Et que faites-vous de la démocratie ?

Joël Labbé. C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative d’inviter jeudi dernier les représentants des syndicats minoritaires à s’exprimer en toute liberté, ici, au Sénat.

Aujourd’hui, nous sommes appelés à débattre une nouvelle fois de la situation et de l’avenir de notre agriculture.

Il est temps que l’on cesse de se raconter des histoires : le monde agricole est dans une situation de profond malaise. Les crises s’y succèdent. On ne peut que dresser le constat de la faillite d’un système et d’un modèle, à savoir le modèle productiviste, qui, après un demi-siècle de fuite en avant, a dépassé ses limites.

Nos campagnes connaissent une profonde détresse morale. Dans le monde agricole, le taux de suicide est désormais supérieur de 20 % à la moyenne nationale.

Bruno Sido. C’est vrai.

Joël Labbé. On ne peut l’ignorer. En outre, comme M. le ministre l’a affirmé cet été, plus de 20 000 exploitations sont actuellement au bord de la faillite.

Aussi, les réponses d’urgence qui ont été apportées étaient nécessaires et salutaires.

À présent, il s’agit d’envisager un avenir stable pour notre agriculture et de donner des perspectives à celles et ceux qui ont depuis toujours la noble fonction de nous nourrir. Il s’agit de construire avec eux cet avenir, en reliant de manière systématique l’agriculture, l’alimentation et les territoires, en renouant des liens étroits entre les agriculteurs et les populations qu’ils nourrissent, mais aussi en réconciliant l’agriculture avec le sol, un sol fertile, riche en matières organiques – nos terres en ont perdu ! –, un sol ménagé et respecté, un sol bien vivant qui, en plus de nourrir, apporte une réponse essentielle à la régulation climatique.

J’insisterai encore à l’avenir pour dénoncer ce modèle productiviste, qui présente un bilan accablant. Un grand nombre d’agriculteurs sont les premières victimes de ce système. Ils sont enserrés dans des trajectoires dont il est, pour eux, difficile, sinon impossible de sortir.

Il faut le reconnaître, les crises successives sont le fruit des orientations qui ont été imprimées à l’agriculture au cours des dernières décennies : le nombre d’exploitations a été divisé par quatre en quarante ans, et la part des actifs agricoles n’a cessé de se réduire, au point de ne plus représenter que 3 % de la population active.

Dans un contexte de chômage de masse, l’équivalent de 20 000 emplois disparaît chaque année dans les fermes de France. À ce jour, ces pertes ne sont plus compensées par la création d’emplois nouveaux.

Pourtant, certains leaders particulièrement influents et liés à l’agrobusiness voudraient encore étendre notre modèle à la planète entière. Ils osent affirmer que leur but est de lutter contre la faim, d’assurer l’alimentation de la population mondiale.

C’est sans scrupule qu’ils voient les bouches à nourrir comme autant de nouvelles parts de marché !

Bruno Sido. Oh !

Joël Labbé. N’oublions pas que, aujourd’hui encore, les paysans représentent près de la moitié des travailleurs dans le monde, et que, en valeur, l’agriculture familiale et paysanne fournit encore, selon la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, plus de 80 % des productions alimentaires mondiales.

Cette agriculture résiliente doit être préservée et renforcée. Elle est l’une des solutions essentielles d’adaptation au changement climatique.

Toutefois, les forces contraires sont très puissantes. Dans l’immense marché planétaire qui met en concurrence les économies du monde entier, cette agriculture familiale et paysanne est touchée de plein fouet, partout dans le monde, au nord et, plus encore, au sud.

Dès lors, si on laisse libre cours à cette logique infernale, nombre de nos fermes sont condamnées, soit à disparaître, soit à se concentrer, à s’agrandir toujours plus, à se mécaniser davantage, voire à se robotiser et, de ce fait, à s’endetter plus encore – la compétitivité l’exige.

Toujours accroître le rendement par vache ou par hectare, avec toujours moins d’agriculteurs : voilà la logique de la compétitivité. Est-ce cela que l’on appelle maintenant « l’agriculture intelligente » ? Aujourd’hui, on entend même parler d’une agriculture climato-intelligente !

Jacques Mézard. C’est intelligent tout cela… (Sourires sur les travées du RDSE.)

Joël Labbé. Mes chers collègues, de qui se moque-t-on ?

Dès lors, comment faire ? Didier Guillaume l’a souligné à l’instant, ce n’est pas avec de grands discours simplistes, dans un sens ou dans l’autre, que nous trouverons des solutions.

Bruno Sido. Très bien !

Joël Labbé. Il s’agit de transformer à grande échelle, en profondeur et progressivement nos manières de produire et de consommer.

Monsieur le ministre, nous avons longuement débattu, dans cet hémicycle, du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que vous avez conçu comme un instrument de transition vers l’agroécologie.

Nombre d’outils sont inscrits dans ce texte. Je pense aux groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, qui ont été précédemment évoqués. Je songe également aux projets alimentaires territoriaux qui relient producteurs et consommateurs. Ces dispositifs ont été élaborés avec l’objectif affiché de mettre en œuvre les principes fondamentaux de l’agroécologie. À présent, il faut faire converger, en cohérence, les soutiens publics communautaires, nationaux et régionaux allant dans ce sens.

Accélérons la mise en œuvre de notre plan « Protéines végétales », afin de rendre nos fermes plus autonomes, en les libérant de la dépendance au soja sud-américain. Évoluons vers des productions de qualité, pour plus de valeur ajoutée. Autour de l’agriculture familiale, restaurons un développement local à même de revivifier les territoires ruraux.

La loi d’avenir pour l’agroécologie doit marquer la reprise en main de l’avenir de l’agriculture par les politiques que nous sommes. Nous en avons la responsabilité devant nos concitoyens.

Le président. Il faut songer à conclure, mon cher collègue.

Joël Labbé. Il convient de programmer, de planifier, de donner des perspectives à moyen et long termes.

Enfin, en cette veille de COP 21, il faudra veiller à la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale de l’alimentation : l’avenir de la planète en dépend ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

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